Sainte Mère des Champignons Sacrés
Extrait de Mushroom Pioneers
par John Allen
Etant d'âme noble, Doña María Sabina accueilli Wasson dans sa hutte et partagea les secrets des champignons sacrés. Comment pouvat-elle savoir que ce geste de générosité et de gentillesse simple, innocent, allait changer radicalement sa vie et le cours de l'histoire de manière défnitive. Malgré les efforts de Wasson pour conserver le secret sur l'identité de Doña María Sabina, l'histoire de la sorcière Mazatèque et de ses champignons merveilleux se répandit en occident comme un feu de paille --depuis les amphithéâtres de Harvard jusque dans les ruelles de l'Amérique urbaine (quand R. Gordon Wasson écrivit pour la première fois dans Life Magazine sur María Sabina et ses veladas (13 Mai 1973), il se référait à elle comme à Eva Mendez, un pseudonyme sensé la protéger des curieux et autres chercheurs d'aventures qui auraient pu déranger ou perturber sa vie et celle de ses proches).
L'histoire de Wasson piqua inévitablement la curiosité de beaucoup de gens. Dans l'espoir que le champignon soit un puissant outil de guerre chimique, la CIA envoya un agent sous couverture à Huautla de Jiménez pour collecter des spécimens (Marks, 1979). De nouveau, Doña María Sabina partagea son secret. Que pouvait-elle faire d'autre ? Le champignon lui avait montré que les occidentaux ne la laisseraient jamais en paix. Avec réticence elle accepta l'évidence, mais avec chaque profanation des champignons sacrés elle pouvait sentir diminuer ses pouvoirs de guérison.
Elle savait que les occidentaux viendraient par douzaines (médecins, scientifiques, aventuriers, pélerins spirituels), tous à la recherche de la vérité, du salut, de la magie qui guérit, ou même de la face de Dieu. Faisant face à son destin avec résignation, Doña María accepta chaque chercheur las chez elle et réalisa pour eux la velada, la veillée de toute une nuit. Chaque fois elle donnait aux visiteurs ce qu'ils étaient venus chercher. Chaque fois elle donnait une petite partie d'elle-même.
Maintenant tout ce qui reste de Doña María, ce sont des souvenirs, des souvenirs de l'humble femme qui inspira les vies de Tim Leary, Ralph Metzner, Andrez Weil, Johnathan Ott et d'innombrables autres. Au delà de sa mémoire seuls les champignons restent, les petits outils magiques que Doña María avait passé sa vie à maîtriser. Maintenant qu'elle est partie, la seule manière de la retrouver c'est à travers eux, à travers les cérémonies sacrées des magiciens et guérisseurs Mazatèques.
Pouvez-vous vous imaginer son visage, sombre et ciselé avec l'âge ? Pouvez-vous entendre ses chansons et ses chants traversant l'obscurité totale de la nuit ? Son esprit est là dehors, pris dans une spirale sans fin de toutes les couleurs, de sagesse et de beauté. Son fantôme attend d'être entendu. Tendez simplement l'oreille ...
ENFANCE
Wasson (Estrada 1976) rapporta que María Sabina était née le 17 Mars 1894. Selon les archives de la paroisse María fut baptisée exactement une semaine après sa naissance. Sa mère María Concepción dit que la naissance de sa fille fut le jour de la Vierge Magdalène (22 Juillet).
Selon des témoignages oraux donnés au Señor Alvaro Estrada, Doña María consomma pour la première fois les champignons sacrés avec sa soeur María Ana à un âge précoce (peut-être quelque part entre 7 et 9 ans). Doña María Sabina rappela qu'elle et sa soeur étaient dehors dans les bois surveillant les animaux de la famille quand elles s'arrêtèrent sous un arbre pour jouer avec les ombres comme les jeunes enfants le font souvent entre eux quand il n'y a pas d'adultes autour. María regarda par terre et remarqua plusieurs champignons magnifiques poussant sous l'arbre. Elle réalisa que c'etaient les mêmes champignons utilsés par un curandero local, Juan Manuel, pour soigner les malades.
Doña María se pencha à terre et ramassa avec beaucoup de soin plusieurs champignons en s'exclamant "si je vous mange, toi et toi, je sais que vous me ferez chanter merveilleusement". Elle les mastica doucement et les avala, poussant ensuite sa soeur María Ana à faire de même. Progressivement, la jeune María commeca à réaliser que les champignons contenaient une magie très puissante, une qu'elle n'oublierait jamais.
Durant les mois qui suivirent Doña María et sa soeur consommèrent les champignons plusieurs fois. Une fois leur mère les trouva en train de chanter et de rire gaiement et leur demanda "Qu'avez-vous fait ?". Pour autant, elle ne fut jamais réprimandée pour avoir mangé les champignons parce que sa mère savait que réprimander peut entrainer des émotions contraires.
Selon Joan Halifax (1979), Doña María avait 8 ans quand son oncle tomba malade. De nombreux chamanes des Sierras environnantes autour de son village avaient essayé de le soigner avec différentes herbes, mais cela n'avait fait qu'empirer sa situation. Doña María se souvînt alors que les champignons qu'elle avait mangé en jouant avec sa soeur lui avaient dit de venir les chercher si jamais elle en avait besoin et qu'ils pourraient lui dire quoi faire si elle avait besoin d'aide.
Doña María alla collecter les champignons sacrés et retourna à la maison de son oncle où elle les mangea. Immédiatement Doña María fut entrainée dans le monde des champignons. Elle leur demanda ce qui n'allait pas avec son oncle et ce qu'elle pouvait faire pour l'aider à aller mieux. Selon Doña María, les champignons lui dirent qu'un "esprit maléfique" était entré dans le corps de son oncle et l'avait possédé. Il faudrait qu'elle lui donne une herbe spéciale, mais pas la même que celles que les autres chamanes et guérisseurs lui avaient donnés. Doña María demanda alors aux champignons où elle pouvait trouver cette herbe et les champignons lui dirent qu'il y avait un endroit dans les montagnes où poussaient de grands arbres et où l'eau du ruisseau était pure. A cet endroit, sur la terre, poussaient les plantes qui guériraient son oncle.
Doña María connaissait l'endroit que lui avaient montré les champignons et couru chercher les herbes depuis la hutte de son oncle. Comme les champignons le lui avaient montré, l'herbe était là. Quand elle fut de retour chez son oncle elle fit bouillir les herbes et en fit boire son oncle. En quelques jours son oncle était guérit, et María sût que cela allait devenir son mode de vie.
En grandissant, Doña María devint pleinement initiée dans son rôle de sabia (une sage). Elle devint vite respectée dans son village comme une sabia honnête et puissante, et pour la communauté, elle était une bénédiction pour ceux qui faisaient appel à ses services. Pendant des dizaines d'années elle pratiqua son art de la guérison, et d'innombrables centaines de malades et de gens souffrants recherchèrent sa magie. A part ses 3 marriages pendant lesquels elle ne devait s'occuper que de son mari, elle continua ses pratiques sacrées durant toute sa vie.
Appartenant au peuple Mazatèque (parlant le Nahua), María Sabina réalisait ses cérémonies en mazatèque (dans le magazine This Week, Valentina Wasson écrivit que la cérémonie était faite en mixtèque). Comme le pseudonyme d'Eva Mendez que donna R. Gordon Wasson à María Sabina, l'article précédent fut également publié avec l'intention de préserver le secret sur son identité contre ceux qui auraient pu abuser de sa manière de vivre.
Comme beaucoup de chamanes, curanderos, et guérisseurs Mazatèques, María Sabina se référait aux champignons comme à xi-tjo, si-tho ou nti-xi-tjo, voulant dire "objets vénérés qui jaillissent au devant" ('nti' est une particule de profond respect et d'affection, et 'xti-tjo' signifie ce qui jaillit au dedans, ce qui surgit). Certains mazatèques disent des champignons: "le petit champignon vient de lui-même, personne ne sait d'où, comme le vent qui vient, on ne sait ni quand ni pourquoi".
Les champignons sacrés utilisés par María Sabina pendant ses veladas nocturnes (veillées) sont normalement ramassés les soirs de pleine lune, bien qu'ils puissent parfois l'être pendant la journée1. Les champignons ramassés sous la lumière lunaire étaient parfois collectés par une jeune vierge. Une fois ramassés ils doivent être amenés dans une église. Là ils sont placés sur l'autel pour être bénis par l'Esprit Saint. Si la vierge qui les a ramassé tombe sur la carcasse d'un animal mort, un qui est mort sur le chemin qu'elle suit, elle doit alors jeter les champignons, et trouver un autre chemin pour retourner à l'endroit où poussent les champignons. Elle doir alors ramasser de nouveaux champignons frais et trouver une autre piste amenant à l'église, espérant et priant pour ne pas tomber sur un quelconque autre animal mort. Une fois les champignons consacrés sur l'autel, ils sont prêts à être utilisés.
La velada commence dans l'obscurité totale afin que les visions soient claires et brillantes. Une fois les champignons reconnus et bénis par María Sabina, elle les fait passer doucement un par un à travers les volutes de fumée d'encens Copal. Les champignons sont toujours consommés en paires de deux, significant un mâle et une femelle. Chaque participant consomme entre cinq et six paires, bien que plus puissent être donnés si besoin est. Parce que les énergies spirituelles de la sabia doivent toujours dominer la velada, María Sabina consomme normallement deux fois plus de champignons que ses voyageurs, parfois jusqu'à douzes paires.
Suivant la tradition des chamanes et curanderas Mazatèques, María Sabina commence par mastiquer les champignons, les garde quelque temps dans sa bouche, et les avale alors. Les champignons doivent être consommés l'estomac vide et mangés dans une période de 20 à 30 minutes. Elle décide qui doit les prendre et les énergies spirituelles de la sabia dominent toujours la session. Ces sessions sont généralment conduites la nuit, dans l'obscurité totale afin que les effets visuels des champignons soient pleinement exprimés. Une ou deux bougies peuvent être utilisées mais c'est rarement utile. Pendant que les énergies des champignons se répandent dans les voyageurs spirituels, Doña María chante, tappe des mains et les frappe sur différentes parties de son corps, créant de nombreux sons différents pendant qu'elle invoque d'anciennes incantations.
Les chants rythmés remplissent alors tout l'espace de sa hutte et vont au-delà des murs vers les horizons lointains de l'infinité. Les chants sont utilisés pour invoquer le pouvoir des champignons et varient suivant les différentes maladies ou maux que la guérisseuse devra soigner 2 (Krippner et Winkelman, 1983; voir également Aromin, 1973 dans Krippner & Winkelman, 1983). Ayant été une Catholique dévote tout sa vie, elle mélangeait souvent d'anciens rituels mazatèques avec des éléments du christiannisme, telle que l'Eucharistie de la religion catholique. Quand les champignons n'étaient pas de saison, María Sabina employait d'autres plantes sacrées avec des rites chrétiens. 3.
Tous les témoignages sur María Sabina attestaient du fait qu'elle était une véritable femme humble et sainte --une sainte. Wasson lui-même décrivit María Sabina comme une "femme sans tâche, immaculée, une qui n'a jamais déshonorée son appel en utilisant ses pouvoirs pour faire le mal... [une femme d'une] morale et d'un pouvoir spirituel rares, engagée dans sa vocation, une artiste dans la maîtrise des techniques de sa vocation" (Wasson, 1980). Dans son village, María Sabina était exaltée comme une sabia (la sage), et était connue de beaucoup comme une "curandera de primera categoria" (guérisseuse de première catégorie) et comme "una señora sin mancha" (une femme sans tâche).
Le Père Antonio Reyes Hernandez est un homme de robe, un homme avec l'amour de Dieu en lui, et le prêtre qui s'occupait de l'eglise Dominicaine à laquelle appartenait María Sabina. En 1970, quand le Père Antonio venait de terminer sa première année en tant que prêtre de Huautla, Alvaro Estrada (1976) lui demanda si les anciens écclésiastiques de la hiérarchie de l'eglise s'opposaient aux rites païens des chamanes et sabias de Oaxaca et du reste du Mexique, comme l'avaient fait leurs prédécesseurs pendant 3 siècles. Le Père Antonio répondit que "l'Eglise n'est pas contre ces rites païens --si on peut les appeler ainsi. Les sages et guérisseurs n'entrent pas en compétition avec notre religion. Ils sont tous des religieux et assistent à nos messes, même María Sabina. Ils ne font aucun prosélitisme; ils ne sont donc pas considérés comme hérétiques, et il est très improbable qu'un anathème quelconque soit jeté contre eux".
Le Père Antonio ne l'a jamais mise en garde ni ne la condamna jamais pour son travail au village. Il était conscient que ses rituels et ses pratiques lui avaient été léguées du fond des âges par ses ancêtres. Il savait également que ses services étaient des traitement valables pour ceux qui recherchaient ses talents chamaniques. Le Père Hernandez reconnut toujours son travail avec les malades et les souffrants comme la marque d'un Chrétien véritable --une personne désireuse d'aider les moins chanceux. Bien qu'il sache que Doña María utilisait les champignons et des pratiques païennes pour soigner et guérir, il comprenait en même temps que la nature de María Sabina n'était pas celle d'un esprit démoniaque, ni satanique ou même hérétique. Il appréciait sa spiritualité et donait beaucoup de valeur à son travail en tant que membre ancienne et éminente de son église.
Un prêtre intéressé par l'expérience des effets visionaires des champignons alla voir María en demandant ses services. Mais il fut renvoyé chez lui car ce n'était pas la saison des champignons et il n'y en avait pas de disponibles pour la cérémonie. Le prêtre demanda à María Sabina si elle senseignerait ses talents à ses enfants. Elle lui répondit que ses talents ne pouvaient être enseignés aux autres mais seulement développeés par ceux dont la sagesse avait été atteinte naturellement. Mais pourtant on raconte qu'avant sa mort en 1985, Doña Naría passa la plus grante partie de ses dernières années à apprendre à d'autres son talent dans la communication avec les champignons (Krippner 1983, 1987).
De la même manière que Doña María croyait au pouvoir du Christ, elle croyait au pouvoir des champignons. Elle se donna elle-même à son église comme aux champignons. Pendant qu'elle travaillait pour l'église, sa messe était dite en latin et ses chants étaient toujours en Mazatèque, et il faut se rappeler que bien que Doña María n'écrivait pas, elle n'était pas illettrée.
Doña María remarqua vite que Wasson et ses amis, étant les premiers étrangers à rechercher "l'enfant saint" (les champignons), n'avaient aucune maladie ou mal-être à soigner. Ils venaient uniquement par curiosité, ou pour trouver Dieu (Estrada 1976). Avant que Wasson et les autres étrangers ne viennent à Huautla, les champignons avaient toujours été utilisés pour soigner les malades. Doña María entrevit la diminution de ses capacités à assumer ses fonctions. Elle déclara que plus les étrangers venaient utiliser les champignons pour le plaisir ou "pour trouver Dieu", plus les champignons magiques se retiraient de son esprit. Son énergie, et l'énergie des champignons, étaient en train de s'évanouir progressivement.
Alors que María Sabina sentait que l'affaiblissement de ses pouvoirs et de sa relation avec les champignons était causée par les jeunes étrangers qui recherchaient frivolement et abusaient de la sainteté des champignons sacrés, il faut remarquer que rechercher et trouver son propre dieu peut également être une cure pour beaucoup des problèmes psychologiques, des ennuis et des faiblesses de l'humanité.
L'Arrivée des Etrangers
Au début, les premiers voyageurs qui vinrent à Oaxaca en quête des champignons sacrés étaient polis et aimables avec María Sabina. Ils montraient un respect mutuel pour son personnage. Beaucoup vinrent en apportant des cadeaux et de l'argent pour ses services. Doña María recut beaucoup de gens (jeunes et vieux) chez elle et réalisa pour eux la cérémonie sacrée de ses ancêtres. Un des plus beaux cadeaux que l'on pouvait lui faire pour ses services était des photographies d'elle et de sa famille. Certains voyageurs lui offraient des cadeaux sans valeur et beaucoup d'autres des cadeaux qu'elle considérait sans valeur. Un touriste lui offrit son gros chien en paiement de son temps mais elle refusa. Elle était trop pauvre pour se permettre de nourir l'animal. Bien que pauvre, María Sabina était spirituellement riche.
Doña María se retrouva 2 fois veuve dans sa vie, et une fois un de ses fils fut brutalement assassiné devant ses propres yeux. Elle déclara avoir vu le crime dans une vision avant qu'il n'arrive. Cela supporte l'idée de Wasson que les champignons ont des propriétés télépathiques. En 1984, María Sabina avait rencontré son troisième mari.
Sa maison de 3 pièces à Oaxaca où María Sabina réalisait ses cérémonies était faite de boue avec un toit de chaume et un sol poussiéreux. L'intérieur de sa modeste habitation dont les murs s'écroulaient avec l'âge était pourvu de sols de terre inégaux, presque sans meubles à part un autel des plus simples. Une bougie offrait la seule lumière vu qu'il n'y avait pas d'électricité. A quelques occasions on lui offrit un matelas ou deux mais elle acceptait rarement les cadeaux allant au-delà la valeur de ses besoins quotidiens.
Après que Wasson aie publié des articles sur la redécouverte des pratiques anciennes utilisant de manière rituelle des champignons hallucinogènes à Oaxaca, de nombreux jeunes étrangers des Etats-Unis, du Canada, d'Europe et d'Amérique du Sud, commencèrent leurs longues randonnées et leurs pélerinages penibles vers l'intérieur du Mexique. Doña María remarqua bientôt que beaucoup d'indigènes et même de mexicains dégradaient ses coutumes en proposant des champignons aux touristes afin de pouvoir nourir leurs familles. Pendant cette période, beaucoup vinrent à la recherche des champignons, et aussi beaucoup ne vinrent que pour être renvoyés.
Vers 1960, María Sabina avait réalisé qu'elle était connue dans le monde entier. Cette nouvelle réputation lui donna beaucoup de peine et l'agonie qu'elle provoqua dans son âme était évidente dans ses yeux et sur son visage. Cela apporta le chaos et la profanation dans son village et sur son travail.
Le manque de respect voire l'irespect total avec lesquels les étrangers traitaient ses "enfants saints" ébranla les fondations mêmes de sa sagesse, de sa force et de sa parole. Comme pour les anciens mystères du "Temple de Dionysos" où le silence sur les rites anciens était la règle d'or, María Sabina déplora qu'avant l'arrivée de Wasson, "personne ne parlait ouvertement des 'saint enfants'. Aucun mazatèque ne révélait auparavant ce qu'il savait à ce sujet" (Estrada 1976).
Après que Wasson aie fait son premier voyage avec elle, tout le monde semblait la connaître et savoir ce qu'elle faisait. Quand Wasson fut présenté pour la première fois à María Sabina en 1955, c'était uniquement grâce à l'entremise de son ami Cayetano (Wasson 1957, 1980, Allen 1987). Elle avait confiance en lui et senti que sa demande de rencontrer l'étranger qui avait voyagé de loin en quête d'une sabia était anodine. Jugeant de leur première rencontre, María Sabina cru que Wasson était un homme honnête et sincère et pensa qu'il respecterait son mode de vie et ne porterai jamais de honte sur son monde. Bien qu'elle aie accepté Wasson chez elle avec beaucoup de précautions quand Cayetano lui demanda, elle accepta par la suite beaucoup de gens chez elle, et elle en refusa également beaucoup.
María Sabina avait donné sa confiance à Wasson et ses amis, particulièrement quand elle les autorisa à l'enregistrer et à la photographier pendant une velada nocturne aux champignons. Elle donna à Wasson et à Alan Richarson, son photographe, la permission de raconter son histoire à d'autres. Doña María espérait que Wasson ne profane par son image ni ne divulgue son identité au monde d'une manière impropre. Parce que Doña María ne lisait ni n'écrivait (sa langue n'a pas de mots écrits), elle ne sût jamais exactement ce que Wasson avait écrit de sa vie.
En 1960, María Sabina avait décidé que "si des étrangers venaient la voir sans recommandation [alors que Wasson en avait une], bien sûr elle leur montrerait quand même sa sagesse" (Wasson 1980).
Pendant l'été de l'amour de 1967, de nombreuse drogues et leur utilisation rampante se répandirent hors du quartier Haight-Ashbury de San Fransisco vers le reste de l'Amérique continentale. De nombreux jeunes hippies et de nombreux étudiants entreprirent le voyage au Mexique à la recherche des champignons magiques dont ils avaient lu quelque chose ou dont ils avaient entendu parler par des amis. (Swain 1962, Finkelstein 1969, Sandford 1973, Weil 1980).
Doña María commenca alors à comprendre l'étendue de sa célébrité quand après des années elle se rappela le pélerinage de "ces jeunes gens aux cheveux longs qui venaient en quête de Dieu" mais à qui il manquait le respect des champignons et qui les profanaient largement. Plus tard María Sabina réalisa que "les jeunes gens aux cheveux longs n'avaient pas besoin d'elle pour manger les petites choses". elle dit encore que "ces enfants les mangeaient n'importe où n'importe quand et ne respectaient pas nos coutumes". Doña María ajoutait que "celui qui prend des champignons simplement pour en ressentir les effets peut devenir fou et le rester temporairement, mais juste pour un temps".
Wasson reconnut les valeurs traditionnelles des motivations religieuses des chamanes et sabias Mazatèques quand il expliquait que "réaliser pour des étrangers est une profanation et qu'aujourd'hui la curandera qui, pour une somme d'argent, conduit le rite des champignons pour n'importe quel étranger est une prostituée et un fakir" (Metzner, 1970). Pourtant María Sabina réalisait des rituels pour des étrangers, parfois gratuitement parfois non. A certains moments, elle fut sensée faire payer des services qu'elle offrait auparavant gratuitement.
A un certain point, un touriste américain prit trop de champignons et disjoncta complètement. Il causa "beaucoup de problèmes" et d'anxiété dans une communauté généralement calme et paisible. Un autre touriste, avec une dinde vivante entre les dents, courru comme un dératé dans les rues de Huautla. Cet incident nécessita l'intervention de la policia locale qui l'arrêta avant qu'il puisse se mettre en danger lui-même ou les autres. Cet incident avec quelques autres, conduisit bientôt à l'expulsion de miliers d'aventuriers aux cheveux longs hors du Mexique.
Les actions de ces jeunes gens entrainèrent de nombreux scandales. A cause de l'influence de ces jeunes chercheurs de drogues, les autorités locales commencèrent à interdire l'utilisation des champignons. En 1976, les miliers d'envahisseurs étrangers commencaient à diminuer drastiquement, permettant aux federales de quitter progressivement la zone. Pour les indigènes de Oaxaca, les éléments négatifs avaient finallement disparu et la paix était de retour au village.
Pendant toutes ces années Doña María fut harassée de nombreuses fois par les autorités gouvernementales locales à cause de son utilisation des champignons sacrés avec les intrus étrangers. Plusieurs fois elle fut arrêtée et mise en prison à cause de ses activités et une fois sa maison fut entièrement abattue. Un journaliste qui l'interviewa en 1969 essaya d'intervenir pour l'aider. Il demanda personnellement au gouverneur de Oaxaca de "laisser en paix la chamane la plus célèbre du monde, que l'anthropologie et le désir de fuir la réalité avaient ruinés" (estrada, 1976).
Comme indiqué précédemment, les authorités fédérales, armée et police inclues, commencèrent l'expulsion de centaines de jeunes voyageurs étrangers, qui venaient au Mexique "en quête des champignons et de Dieu" (Jones 1963, Inconnu 1970).
Que la Force soit avec Toi
Fig. 8. María Sabina.
Doña María croyait dans la force sacrée des champignons avec le même entousiasme que de nombreuses personnes montrèrent pour "la Force" de George Lucas et Luke Skywalker. Les années passant après la première visite de Wasson à Huautla de Jiménez, Doña María sentait la force des champignons diminuer dans son esprit. Doña María réalisa qu'avec la venue de l'homme blanc, les champignons perdaient deleur sens. Doña María déclara "qu'avant Wasson, je sentais 'l'enfant saint' m'élever. Je ne le sens plus comme cela. La force a diminué. Si cayetano n'avait pas amené les étrangers.... 'l'enfant saint' aurait [probablement] gardé ses pouvoirs. A partir du moment où sont arrivés les étrangers, 'les enfants saints' ont perdu leur pureté. Ils ont perdu leur force; les étrangers les ont gaspillés. A partir de maintenant ils ne seront plus d'aucune utilité. Il n'y a aucun remède contre cela."
Cette révélation de la part de María Sabina sonne assurément très vrai. La cueillette des champignons par de banals chercheurs de sensations fortes est bien répandue sur toute la planète. Apolonio Teran, un ancien sabio (homme sage) fut interviewé par Alvaro Estrada. Estrada lui posa la question de la dé-sanctification des champignons par leur cueillette, se demandant si les champignons étaient toujours considérés comme une source de médecine sacrée et puissante.
Apolonio déclara que "le champignon divin ne nous appartient plus [aux indiens de mésoamérique]. Son langage sacré a été profané. Le langage a été souillé et il est indéchiffrable pour nous.... Maintenant les champignons parlent NQUI LE [Anglais]. Oui, c'est la langue que parlent les étrangers.... Les champignons ont un esprit divin. Ils l'avaient toujours eu pour nous, mais les étrangers sont arrivés et lui ont fait peur..." Plus tard, Wasson (1980) s'accorda sur le fait que "depuis que l'homme blanc est venu chercher les champignons, ils ont perdu leur magie." Cela pourrait signifier que la magie est définitivement partie pour les chamanes et les indigènes qui vénéraient les champignons.
Wasson pensait que María Sabina disait la vérité. Abondant dans le sens de sa sagesse, Wasson dit que "une pratique poursuivie en secret pendant 3 siècles ou plus vient d'être éventée et cette aération porte sa fin" (Estrada, 1976).
Avant sa mort en Décembre 1989, Wasson pensait qu'il était seul responsable et coupable pour ce qui doit assurément être appelé la fin triste et tragique d'une culture, dont les traditions et les usages comprenaient l'utilisation sacrée de Teonanácatl et se sont développés et entretenus pendant presque 3 millénaires. Il semble aujourd'hui que l'utilisation de champignons parmi les peuples indigènes de Mésoamérique soit dans son stade final d'extinction. Bientôt l'utilisation culturelle des champignons et d'autres plantes sacrées pourrait disparaître de la surface de la terre.
L'approche éloquente de Wasson pour présenter le monde de María Sabina au public est sans aucun doute irréprochable. Il présenta l'histoire unique de María Sabina et de ses champignons sacrés. Ses écrits nous ont emmenés là où aucun homme n'était encore jamais allé et il a offert au monde son histoire comme personne ne l'aurait fait. Wasson amena María Sabina et son monde sous la vision de l'oeil public. Il parla de ses chants, de sa manière de vivre, de son raisonnement, et de sa magie avec les membres de son village, tous ceux qui la visitaient recherchant ses conseils et sa divination. Wasson rendit compte de ses vertues avec le plus grand des respects et le plus fin des regards, et ce qu'il coucha sur le papier ne fut rien d'autre que la vérité qu'elle lui révélait telle que lui la voyait et l'entendait.
Wasson savait que María Sabina était nécessaire à l'équilibre naturel de sa communauté. Il avait pour cette femme et son travail une révérence extrême et profonde. En même temps il montrait certains aspects de sa spiritualité sans porter la honte sur son héritage. Il la présenta au monde avec l'intégrité enchanterresse que portaient ses écrits. Les découvertes de Wasson en Mésoamérique et ses interprétations intégrales sont ce que María Sabina aurait écrit et décrit si elle avait pu.
A cause de l'intrusion de Wasson dans sa vie et des myriades d'autres qui suivirent, une partie du monde et du mode de vie de María Sabina furent enlevés. Pour autant, les vastes trésors de connaissance ethnomycologique que Wasson sorti de son monde ne devinrent publics que parce qu'elle les partagea avec des étrangers. Cette connaissance va désormais rester comme un morceau de l'histoire, parce qu'il a été enregistré par un homme honorable qui se souciait de ce qu'il observait et vivait, et qui l'écrivait.
María Sabina était de nombreuses choses : une femme de la terre, une mère, une sabia, une poète, une aide, une croyante, une femme déterminée, et une curandera qui se tenait sur la frontière même de son univers et entrevoyait les secrets et le sens de la vie. Doña María a partagé ses secrets de la connaissance et de la magie des plantes avec le monde extérieur. Seulement grâce à l'espoir et à la prière, la bonne volonté qu'elle a offert au monde sera complètement comprise et appréciée. A travers la persistance et la détermination de R. Gordon Wasson à suivre son rêve de la piste des champignons sacrés, Doña María a véritablement présenté à l'humanité une clé magique, les champignons, touchant à quelques réponses plausibles à certains des mystères de nos débuts religieux, et peut-être de l'origine de notre terre.
Doña María est peut-être partie, mais son esprit et sa sagesse restent. Tendez la main et attrapez cette sagesse qu'elle était si désireuse de partager. Prenez-la avec délicatesse et partagez-la avec amour et respect. Pouvez-vous voir son visage dans le noir ? Entendez-vous ses chants ?
Notes
1. María Sabina utilisait de nombreuses sortes de champignons pour la divination. Elle préférait Psilocybe Mexicana Heim, l'espèce favorite des chamanes Mazatèques. Pourtant, les champignons qu'elle partagea avec R. Gordon Wasson et Alan Richardson étaient des Psilocybe Caerulescens var. Mazatecorum.
2. Les champignons sacrés sont généralement consommés frais mais peuvent parfois également être servis séchés. Dans le Mexique pré-Colombien les champignons étaient servis et mangés avec du chocolat et/ou du miel. Une coutume héritée du temp des prêtres Aztèques, et une tradition culturelle transmise à travers les siècles par leurs ancêtres. Dans certaines régions comme Juxtlahuaca, les chamanes Mixtèques réduisent les champignons en poudre fine et les infusent dans un thé d'herbes naturelles.
Metzner (1970) raporta que "sur la terre des Mixe (Mijes) il n'y a pas de curanderas. La plupart des Mixe connaissent et partagent le secret des champignons et savent comment les utiliser. Une personne peut prendre les champignons seule mais elle sera toujours accompgnée par un observateur pour l'aider et lui servir de guide pendant son voyage. La raison pour laquelle on prend les champignons peut être médicale ou divinatoire : pour faire un diagnostic et/ou trouver un remède à une maladie autrement incurable, pour trouver des objets perdus, des animaux ou des gens, pour demander des conseils concernant des problèmes personnels ou de grande importance."
Bien que María Sabina ait préservé avec grâce les pouvoirs et la sagesse issus de sa relation avec les champignons, elle ne les utilisait que pour des oeuvres bonnes. Elle incorporait aussi d'anciennes traditions, les mélangeant avec certaines valeurs et idéologies Chrétiennes pour diviner dans une situation particulière, par là-même diagnostiquant correcetment pour la personne ayant besoin de soins.
Singer et Smith (1958) pensaient que "les cérémonies religieuses de soins des Mazatèques sont aussi dirigées par les curanderos [ou curanderas], mais l'important sont plus les révélations obtenues par les malades eux-mêmes, ce qui fait que l'utilisation des champignons à Huautla est au moins en partie divinatoire plutôt que uniquement médicale". Metzner (1970) nous dit que "l'utilisation des champignons dans le [seul] but de la divination est accepté comme un état de fait. Des démonstrations de leurs capacité à engendrer des états altérés de conscience combinés avec des visions brillantes et kaléidoscopiques aux couleurs et formes resplendissantes ont été faites de manière convaincante". Aguirre-Beltran (1955) déclarait que le guérisseur (chamane ou curandera) "ne cherchait pas ce qui dans ces plantes leur procurait leur magie, mais pensait que les pensées des indiens qui les prenaient possédaient 2 aspects que l'on pouvait utiliser dans leur traitement :
- la force mystique que les plantes projetaient dans leur esprit
- le pouvoir de diagnostic réel que ces plantes portaient en elles"
Quant on considère les résultats de ces anciennes pratiques païennes dans les sociétés traditionnelles, il ne faut pas oublier que dans le monde de María Sabina, la velada et les champignons dont elle se nourrit représentent les repères de son existence spirituelle. Doña María avait déjà entrevu la diminution de ses capacités à assurer ses fonctions lorsque les champignons sont devenus connus par les étrangers. Elle disait que plus les étrangers utilisaient les champignons pour le plaisir ou pour "trouver Dieu" plus la magie des champignons disaparaissait petit à petit. Metzner (1970) écrivit que les "pratiques qu'elle employait étaient tout ce qui restait aujourd'hui parmi les gens primitifs et illétrés, d'une pratique qui était autrefois tellement répandue chez les sages et les puissants de l'empire [Aztèque] "qu'il y a 300 ans, un conquérant catholique appelé Cortes et une horde de conquistadors réussirent presque à faire disparaître de la surface de la terre toute connaissance sur leur utilisation et leur existence".
3. Quand les champignons ne sont pas de saison, les chamanes et curanderas Mazatèques (dont María Sabina) emploient diverses autres plantes psychotropes pour la divination.
Une de ces plantes est la Salvia Divinorum, membre de la famille des sauges (menthes), qui est riche en huiles essentielles. Le chimiste suisse Albert Hofmann (1980) rapporta que c'était une plante utilisée dans ses cérémonies par María Sabina. Les chamanes et sabias mazatèques s'y réfèrent comme aux "Hojas de la Pastora" (feuilles de la bergère). Doña María Sabina l'appelait "la hembra" (la femelle) (Wasson 1962). Les pouvoirs de la Salvia divinorum peuvent être expérimentés en roulant 12 à 16 feuilles matures en cigarre et en les conservant entre les machoires et la joue pendant 15 minutes. De profonds effets visuels peuvent être obtenus les yeux fermés ou dans le noir total. Les feuilles de Salvia séchées peuvent également être fumées pour des effets plus légers.
Quand l'herbe Salvia n'est pas disponible pour la divination,
les Mazatèques emploient 2 espèces différentes de Coleus que l'on trouve
à Oaxaca. Coleus Pumilus est appelée "el macho" (le mâle).
Deux autres variétés de Coleus blumi sont appelées "el nene"
(le fils) et "el ahijado" (le filleul). La psychoactivité des Coleus
est débattue.
Une autre plante, une perenne, est l'ipomée (morning glory) Rivea corymbosa,
dont les graines contiennent des amides de l'acide lysergique. Elle est également
connue comme Ololiuhqui. A Oaxaca, les chamanes mazatèques s'y réfèrent
comme aux "Semillas de la Virgen" (graines de la vierge").
Entre 50 et 300 graines sont trempées dans de l'eau froide pendant 1 à 3 jours
et le liquide filtré est bu le soir. Par contre, María Sabina n'a jamais utilisé
ces graines dans aucune de ses cérémonies.